J'ai lu un livre de 170 pages en 17 minutes.
Ça, c’est ce que dit Mohamed Boclet, un spécialiste de la lecture rapide.
Des gourous modernes qui promettent de révolutionner notre façon de lire. Tentant, n'est-ce pas ?
Pouvoir lire Notre-Dame de Paris de Victor Hugo en entier dans les transports le matin et lire intégralement l'Odyssée d'Homère en rentrant chez soi le soir.
Plus aucun livre ne serait trop "long". Et le temps de lecture ne serait plus un frein à votre apprentissage.
Vous pourriez apprendre des enseignements comme dans le livre "Un rien peut tout changer", le best-seller du développement personnel de James Clear, en seulement 15 minutes.
Alors sur une semaine, un mois… Ce serait l'équivalent d'une bibliothèque ? C'est un peu trop beau pour être vrai vous ne trouvez pas ?
Eh bien vous avez raison. Car tout n'est pas aussi simple que cela.
Avant toute chose, prenons un instant et posons-nous LA question fondamentale : que signifie réellement "lire un livre" ?
Une question qui peut sembler naïve, presque ridicule. Pourtant, elle cache une profondeur insoupçonnée. Vous me direz que c'est simple : on l’ouvre, on y parcourt les pages, on absorbe les mots, et à la fin, on est capable de résumer l'histoire.
Nous cochons la case "livre lu" et nous passons au suivant.
Mais n'est-ce pas là une vision terriblement réductrice ?
Dans notre monde d'information instantanée, de notifications incessantes et de contenus superficiels, la vraie lecture est devenue un acte de résistance telle une rébellion contre la dictature de l'immédiat. Une quête de profondeur dans un océan de superficialité. Chaque page tournée devient un petit acte de révolution.
Et si nous avions tout faux depuis le début ? Si notre obsession d’aller toujours plus vite et ce besoin matérialiste jamais rassasié nous faisait passer à côté de l'essentiel ?
Comment dépasser le simple déchiffrage des mots pour atteindre le véritable message de l'auteur ? Comment transformer chaque lecture en une expérience enrichissante et transformatrice ?
C'est exactement ce que nous allons découvrir ensemble dans cette vidéo. Je vais vous partager des techniques concrètes pour y parvenir et peut-être même bouleverser votre façon de voir la lecture.
Mais avant ça, revenons sur le problème de la lecture rapide.
La lecture rapide
Elle repose sur un principe simple en apparence : optimiser la mécanique de lecture.
Elle propose diverses techniques comme la suppression de la subvocalisation (cette petite voix dans notre tête qui lit les mots), l'élargissement du champ visuel pour capturer plus de mots d'un seul coup, ou encore l'utilisation d'un pointeur pour guider l'œil plus rapidement sur la page.
Les promesses sont alléchantes : multiplier sa vitesse de lecture par 2, 3, voire 10, tout en maintenant un niveau de compréhension acceptable. Certains "champions" affirment même pouvoir lire plusieurs milliers de mots par minute, là où un lecteur moyen en lit environ 250.
Mais il y a un hic. Ces techniques, aussi séduisantes soient-elles, reposent sur une vision très mécanique de la lecture. Elles considèrent le livre comme un simple conteneur d'informations qu'il faudrait vider le plus rapidement possible.
C'est comme visiter le Louvre en courant ou vouloir apprécier un grand vin en le buvant cul sec.
Des études scientifiques ont d'ailleurs montré les limites de ces approches. Au-delà d'une vitesse entre 200 et 300 mots par minute, la compréhension chute drastiquement.
Plus grave encore, la rétention à long terme et la capacité à faire des connexions profondes sont sévèrement compromises.
Car voilà le paradoxe : en voulant aller plus vite, on passe souvent à côté de l'essentiel.
La vraie question n'est pas "comment lire plus vite ?" mais plutôt "comment faire en sorte qu'un livre nous transforme réellement ?" Comment permettre aux mots de l'auteur de résonner en nous, de bouleverser nos certitudes, d'enrichir notre vision du monde ?
Et pour cela, il nous faut comprendre l’art de la lecture…
Comprendre les processus d'écriture et de lecture
Pour vraiment comprendre l'art de la lecture, plongeons tout d'abord dans les coulisses de l'écriture.
Pour cela, réalisons un détour par notre cerveau, cet organe extraordinaire qui fait de nous ce que nous sommes et intègre nos connaissances.
Imaginez votre cerveau telle une constellation vivante, en perpétuelle expansion. Chaque étoile représente une connaissance, reliée aux autres par des fils invisibles - nos neurones. C'est une véritable galaxie de savoirs interconnectés, où chaque nouvelle information trouve sa place, créant de nouvelles connexions, de nouvelles routes dans cet univers mental.
Certaines connexions sont évidentes, d'autres plus subtiles, mais toutes participent à cette architecture complexe qui forme notre compréhension du monde.
Maintenant, glissez-vous dans la peau d'un auteur face à cet énorme défi.
Alors comment transformer cette constellation tridimensionnelle, cette sphère de connaissances interconnectées, en un simple fil narratif linéaire ? C'est comme essayer de décrire une toile d'araignée en ne suivant qu'un seul fil à la fois, ou de raconter une ville entière en ne parcourant qu'une seule rue.
L'auteur se doit de faire des choix, sacrifier certaines connections, en privilégier d'autres. C'est ici que réside tout l'art de l'écrivain, son véritable talent.
Tel un architecte des idées, il va construire des ponts entre les concepts, créer des chemins clairs dans cette forêt de pensées. Il doit anticiper les questions du lecteur, placer des balises, des points de repère
Les meilleurs auteurs sont ceux qui réussissent à nous guider à travers leur labyrinthe mental avec élégance et clarté, comme un guide de haute montagne qui connaîtrait chaque prise, chaque passage secret de sa paroi.
Mais nous, lecteurs, quelle est notre mission dans cette aventure ?
Eh bien, elle est plus complexe et excitante qu'il n'y paraît. Nous devons chercher à défaire ce fil narratif, comme on démêlerait patiemment une pelote de laine, pour reconstruire notre propre constellation de connaissances. Il s'agit d'un véritable travail d'orfèvre, une reconstruction patiente et attentive.
Chaque paragraphe lu est une pierre à placer dans notre édifice mental.
Voilà pourquoi un bon livre nous transforme si profondément.
En effet, il ne se contente pas d'ajouter quelques points à notre constellation - il redessine entièrement notre carte mentale, réorganise nos savoirs, et crée de nouvelles connexions que nous n'aurions jamais imaginées.
Cela correspond à cette "substantifique moelle" dont parlait Rabelais, cette essence précieuse qui nourrit notre esprit et transforme notre vision du monde.
Tout cela s’oppose à la quête de la lecture rapide. Nous sommes bien loin d’enchaîner des mots les uns après les autres à grande vitesse.
De plus, cette transformation ne se fait pas en restant passif, confortablement installé dans son fauteuil. Au contraire, elle exige un véritable engagement avec le texte, une lecture active et critique.
Nous devons le questionner sans cesse : "Pourquoi l'auteur dit-il cela ? Comment ce passage s'articule-t-il avec ce qui précède ? En quoi contredit-il ou confirme-t-il mes connaissances actuelles ?" C'est un peu comme avoir une conversation passionnée avec l'auteur, une sorte de dialogue qui traverse le temps et l'espace.
Cette exploration commence dès la table des matières, cette carte nous révélant le territoire que nous allons explorer.
Ce n'est pas un simple sommaire, c'est une boussole qui nous permet de nous orienter dans le voyage à venir.
Chaque chapitre devient alors une étape de notre exploration, chaque partie une nouvelle terre à découvrir.
En comprenant la structure, nous commençons déjà à percevoir la pensée de l'auteur, sa façon d'organiser et de présenter ses idées.
Et ce voyage passionnant ne s'arrête pas à la dernière page, bien au contraire.
Les vraies lectures continuent de nous faire réfléchir longtemps après avoir refermé le livre.
Ainsi, elles s'infiltrent dans nos pensées comme l'eau dans la roche, bouleversent nos certitudes, enrichissent notre vision du monde.
Parfois, c'est des jours, des semaines après avoir terminé un livre qu'une connexion se fait soudainement dans notre esprit, qu'un concept prend tout son sens en relation avec une nouvelle expérience.
C'est ce processus actif, cet engagement profond avec le texte, qui fait toute la différence entre simplement le fait de parcourir des pages et véritablement lire.
C'est ce qui transforme l'acte de lecture en une véritable aventure intellectuelle, une exploration qui nous grandit et nous transforme.
Maintenant que nous comprenons mieux cette danse complexe entre l'auteur qui tisse son fil narratif et le lecteur qui reconstruit sa propre constellation de connaissances, une question pratique se pose : comment procéder concrètement ?
Car c'est bien beau de parler de reconstruction mentale et de transformation intellectuelle, mais par où commencer ? Comment identifier ce qui mérite vraiment notre attention dans cet océan de mots ?
La réponse se trouve dans notre capacité à déconstruire intelligemment le livre, à reconnaître ses différentes strates, ses différents niveaux de lecture.
Plongeons ensemble dans cette analyse structurée qui va nous permettre de passer de la théorie à la pratique…
Comment déconstruire un livre ?
Contrairement à ce que la lecture rapide nous suggère, un livre, ce n'est pas qu'une succession de mots sur du papier.
Il est la quintessence de la pensée d'un auteur, le fruit d'années de réflexion condensées en quelques centaines de pages. Comme le disait si bien Rabelais, il faut "rompre l'os et sucer la substantifique moelle".
Derrière cette métaphore se cache une vérité profonde : les vrais trésors d'un livre ne se trouvent pas en surface.
Visualisez un livre comme un paysage. Lors d’une randonnée, certains passages méritent qu'on s'y attarde, qu'on admire la vue, et qu’on s’imprègne de cette beauté tandis que d'autres peuvent être traversés d'un pas plus rapide. C'est ce que j'appelle le relief du livre.
Mais alors comment naviguer efficacement dans ce paysage littéraire ? De quelle manière identifier les sommets qui méritent notre attention ?
La clé est de reconnaître les différents types de contenus que nous rencontrons. C'est comme posséder une carte topographique pour notre lecture.
Laissez-moi vous présenter les cinq territoires que vous traverserez dans presque chaque livre. Les identifier vous permettra de différencier le coeur du livre de son enrobage et donc de plus facilement récupérer cette pensée.
Premier territoire : les informations procédurales
Elles correspondent au "comment faire" du livre. Comme une recette de cuisine ou un manuel d'instruction, ces passages nous guident pas à pas vers un objectif concret. Elles sont la partie pratique, celle qui transforme la théorie en action et nous procure un savoir-faire.
Deuxième territoire : les analogies
Elles sont les ponts que l'auteur construit entre l'inconnu et le connu. Prenez un professeur qui vous explique l'atome en le comparant à un système solaire miniature. Ces analogies sont précieuses, mais attention : comme tout pont, leur solidité doit être testée. Est-ce que la comparaison tient vraiment la route ?
Troisième territoire : les informations conceptuelles
Elles sont le cœur battant du livre, sa véritable substantifique moelle. Ce sont les idées, les théories, les concepts qui forment l'ossature de la pensée de l'auteur. Imaginez ces concepts tels des étoiles qu'il faut relier pour former votre propre constellation de connaissances.
C'est ici que le mind mapping devient votre meilleur allié.
Quatrième territoire : les preuves
Elles sont les fondations qui soutiennent l'édifice conceptuel. Ce sont les exemples concrets, études de cas, données... Ces éléments sont comme des pierres précieuses. Elles sont à collecter soigneusement pour les utiliser plus tard dans vos propres créations ou enseignements.
Cinquième territoire : les références
Pensez-y comme à des coordonnées GPS dans le monde du savoir. Ce sont des points de repère précis ancrant les idées dans le réel et permettant d'approfondir certains aspects.
La vraie magie de la lecture efficace réside dans votre capacité à identifier de manière très rapide ces différents territoires. C'est comme avoir une vision en rayons X qui vous permet de voir la structure sous la surface.
Les informations conceptuelles et les analogies, voilà où se cache le véritable trésor.
Le reste ? C'est l'écrin qui protège et met en valeur ce trésor. Important, certes, mais ce n’est pas l'essentiel.
Mais attention : la vitesse de lecture doit s'adapter à votre capacité d'assimilation.
C'est comme essayer de boire de l'eau d'une cascade : si vous allez trop vite, la plupart sera perdue.
L'objectif n'est pas de traverser le livre en courant, mais plutôt d'en extraire la quintessence.
Cette approche structurée transforme la lecture d'une simple activité linéaire en une exploration tridimensionnelle.
Vous ne lisez plus simplement de la première à la dernière page mais vous naviguez plutôt dans un espace de connaissances, construisant activement votre compréhension au fil des pages.
C'est cette lecture active, cette capacité à identifier et à traiter différemment chaque type de contenu, qui fait la différence entre lire et véritablement comprendre.
Conclusion
Alors, que penser de ces fameux lecteurs rapides qui dévorent des livres en quelques minutes ?
Vous savez désormais que la véritable lecture est bien plus qu'une course contre la montre. Il s'agit d'une exploration, d'une conversation intime avec l'auteur, d'un voyage transformateur.
Comme tout art, la lecture profonde est une gymnastique demandant de la pratique.
Chaque livre lu affine notre regard sur soi et le monde, aiguise notre capacité à repérer les pépites de sagesse cachées entre les lignes.
C'est une aptitude qui se développe avec le temps, une expertise qui se forge au fil des pages.
Un grand livre, c'est comme un diamant : chaque lecture révèle de nouvelles facettes.
N’hésitez pas à revenir sur un ouvrage qui vous a marqué. Bien souvent, c'est lors d'une seconde ou une troisième lecture que les véritables trésors se dévoilent, que les connexions les plus profondes se créent.
Cette aptitude à la lecture profonde devient particulièrement cruciale à l'ère de l'intelligence artificielle.
Dans un monde où l'information est omniprésente et où les machines peuvent générer du contenu à l'infini, notre capacité à penser profondément, à faire des connexions uniques, et à extraire la substantifique moelle des grands ouvrages constitue notre véritable super pouvoir. Ce dernier nous permet de nous différencier, de construire une identité qui nous est propre et d’innover.